12

Thomas gisait sur le sol, tremblant dans le froid de l’aube. Le moindre bruit de pas le faisait se recroqueviller sur lui-même. Par-delà les fenêtres, les jeunes coqs chantaient et les oiseaux pépiaient pour saluer le jour naissant. Quelque chose lui disait que la tour de Roncelet était entourée d’un bois touffu, et il se demanda s’il reverrait un jour des feuilles vertes. Un valet maussade lui apporta du pain, du fromage dur et de l’eau en guise de petit déjeuner. Il mangea sous l’œil du garde en livrée de guêpe qui avait délivré ses poignets, et qui referma ses menottes sitôt qu’il eut avalé son repas. Le seau fut emporté pour être vidé et remplacé.

Bernard Taillebourg fit son apparition peu après et, tandis que ses valets ravivaient le feu et que frère Cailloux s’installait à sa table de fortune, il salua son prisonnier avec une exquise politesse.

— As-tu bien dormi ? Ton petit déjeuner t’a-t-il rassasié ? Il fait plus froid aujourd’hui, n’est-ce pas ? Jamais je n’ai connu d’hiver aussi humide. La rivière a débordé à Rennes, pour la première fois depuis des années ! Toutes les caves sont sous l’eau.

Thomas, glacé et effrayé, ne répondit pas, mais le dominicain n’en prit pas offense. Il attendit que frère Cailloux eût trempé sa plume dans l’encrier pour ordonner au valet le plus corpulent d’enlever la couverture du prisonnier.

— Bien, dit-il quand ce dernier fut nu, reprenons. Parlons du livre de ton père. Qui d’autre connaît son existence ?

— Personne, dit Thomas, excepté frère Germain et vous.

Taillebourg fronça les sourcils.

— Mais, Thomas, quelqu’un te l’a bien donné ! Et cette personne connaît donc son existence ! Qui te l’a donné ?

— Un notaire de Dorchester, mentit le jeune archer avec une grande aisance.

— Un nom, je te prie, donne-moi un nom.

— John Rowley, inventa Thomas.

— Épelle, je te prie.

Lorsque le captif se fut exécuté, l’inquisiteur entreprit de faire les cent pas, visiblement contrarié.

— Ce Rowley connaissait sûrement la teneur de ce livre, n’est-ce pas ?

— Il était enveloppé dans une cape appartenant à mon père, au milieu d’un paquet de vieux vêtements. Le notaire n’a pas regardé.

— Il l’a peut-être fait.

— John Rowley est vieux et gros, objecta Thomas, il ne va pas partir à la quête du Graal. De plus, il pensait que mon père était fou : pourquoi se serait-il intéressé à un livre écrit par lui ? Tout ce qui intéresse Rowley, c’est la bière, l’hydromel et le pâté de mouton.

Les trois tisonniers étaient en train de chauffer dans l’âtre. La pluie avait commencé à tomber et des rafales d’un vent froid soufflaient régulièrement des gouttes par la fenêtre ouverte. Thomas se souvint des avertissements de son cousin la nuit précédente : Taillebourg aimait faire souffrir. Pourtant, la voix du dominicain était douce et posée, et Thomas sentait qu’il avait évité le pire. Il avait supporté une journée entière d’interrogatoire, et ses réponses avaient semblé satisfaire l’inquisiteur, réduit à présent à remplir les trous de toute l’histoire.

À présent, Taillebourg voulait tout savoir de la lance de saint Georges. Thomas lui raconta que l’arme était suspendue dans l’église de Hookton, qu’elle avait été dérobée et qu’il l’avait reprise au cours de la bataille qui avait eu lieu à la lisière de la forêt de Crécy. Thomas pensait-il que c’était la véritable lance ?

Le jeune archer secoua la tête.

— Je ne sais pas, répondit-il, mais mon père le croyait.

— Et c’est ton cousin qui a volé la lance dans l’église de Hookton ?

— Oui.

— Sans doute pour que personne ne s’aperçoive que c’était la quête du Graal qui l’avait amené en Angleterre, en déduisit le dominicain, donnant libre cours à son imagination. Cette lance était un prétexte.

Le saint homme s’abîma dans ses réflexions et Thomas, ne ressentant pas la nécessité de faire un commentaire, resta muet.

— Cette lance était-elle munie d’une lame ? s’enquit enfin Taillebourg.

— Oui, une lame très longue.

— Mais si c’était la lame qui a tué le dragon, elle était sans doute mélangée avec du sang du monstre ?

— Vraiment ?

— Mais naturellement ! affirma l’inquisiteur, en regardant Thomas comme s’il avait affaire à un faible d’esprit. Le sang de dragon est du sang brûlant, en fusion !

Il haussa les épaules comme pour en conclure que cette affaire de lance n’entrait pas dans le cadre de sa quête.

Frère Cailloux, soucieux de suivre le rythme de l’interrogatoire, faisait crisser sa plume à toute allure sur le parchemin, et les deux valets restaient plantés près du feu sans chercher à dissimuler leur ennui.

Taillebourg, de son côté, cherchait un nouveau sujet à explorer. Pour une raison connue de lui seul, il choisit Will Skeat et consacra son attention à sa blessure et à ses pertes de mémoire. Thomas était-il tout à fait certain que le soldat ne savait pas lire ?

— Il ne sait pas lire ! répéta ce dernier avec conviction.

Il avait repris confiance et choisi de se montrer rassurant. Il avait commencé la journée précédente par les insultes et la haine, mais à présent, il s’agissait de tout mettre en œuvre pour aider l’inquisiteur à s’acheminer vers la fin de son interrogatoire. Il était presque sauvé.

— Skeat ne sait pas lire, répéta Taillebourg sans cesser de faire les cent pas. Je suppose que ce n’est pas surprenant. Donc, il ne regardera pas le livre que tu as laissé sous sa garde ?

— J’aurai de la chance s’il n’utilise pas ses pages pour s’essuyer le cul. C’est la seule utilisation que connaisse Will Skeat du papier ou du parchemin.

L’inquisiteur répondit par le sourire qu’attendait Thomas, puis leva les yeux au plafond. Il resta silencieux pendant un long moment, mais, à la fin, décocha à son prisonnier un regard perplexe.

— Qui est Hakalya ?

Cette question prit Thomas par surprise et le décontenança.

— Je ne sais pas, parvint-il à répondre après la seconde qu’il lui fallut pour se reprendre, et qui n’échappa pas à son tourmenteur.

Ce dernier observa sa victime avec attention. La tension envahit soudain la pièce ; les valets furent tirés de leur torpeur et frère Cailloux s’arrêta d’écrire pour suivre la scène.

Taillebourg sourit.

— Je vais te donner une dernière chance, Thomas, déclara-t-il de sa voix profonde. Qui est Hakalya ?

Thomas n’avait pas le choix. Il devait payer d’audace. « Sors-toi de cela, se dit-il, et il te laissera tranquille. »

— Je n’ai jamais entendu parler de lui avant que frère Germain ne mentionne son nom, répondit-il en faisant de son mieux pour paraître candide.

Comment Taillebourg avait-il compris que Hakalya était le point faible de la tactique de défense de Thomas ? C’était un mystère. Mais si le dominicain pouvait prouver que son prisonnier savait qui était Hakalya, il pourrait prouver que celui-ci avait traduit au moins l’un des passages du livre en hébreu. Il pourrait prouver que Thomas avait menti pendant tout l’interrogatoire et cela ouvrirait la voie à de nouvelles révélations.

Le dominicain accentua sa pression et, devant les dénégations obstinées du jeune archer, il fit signe aux valets. Frère Cailloux tressaillit.

— Je vous l’ai dit, s’entêta Thomas, de plus en plus nerveux, je ne sais vraiment pas qui est Hakalya.

— Mais mon devoir envers Dieu, dit Taillebourg en prenant le premier tisonnier incandescent des mains du valet, est de m’assurer que tu ne racontes pas de mensonges.

Regardant sa victime avec ce qui pouvait passer pour de la compassion, il ajouta :

— Je ne veux pas te faire de mal, Thomas, je veux seulement la vérité. Allons, dis-moi, qui est Hakalya ?

Thomas avala sa salive.

— Je ne sais pas, dit-il.

Puis il répéta d’une voix plus forte :

— Je ne sais pas !

— Moi, je crois que tu sais, répliqua l’inquisiteur.

Et la torture commença.

— Au nom du Père, récita Taillebourg en plaçant le fer rouge sur la chair nue de la jambe de Thomas, et du Fils et du Saint-Esprit.

Les deux valets maintinrent le prisonnier à terre. La douleur était pire que ce qu’il avait imaginé. Il essaya de se dégager, mais il lui était impossible de bouger. Ses narines se remplirent de l’odeur de la chair brûlée. Mais il ne répondrait pas à la question, car en révélant ses mensonges, il se livrerait à un châtiment encore pire. Dans un coin de sa tête qui hurlait de douleur, il conservait la conviction que s’il persistait dans son mensonge, Taillebourg le croirait et arrêterait de le torturer. Mais dans cette joute qui opposait la patience du tortionnaire à celle du prisonnier, le prisonnier n’avait aucune chance.

Un deuxième tisonnier fut chauffé et sa pointe parcourut les côtes de Thomas.

— Qui est Hakalya ? demanda Taillebourg.

— Je vous l’ai dit…

Le fer rouge fut posé sur sa poitrine et descendit jusqu’à son ventre, marquant sa chair brûlée, racornie, à vif. La plaie fut cautérisée instantanément de façon à ne laisser aucune trace de sang. Le cri de Thomas fut répercuté en écho par le plafond.

Le troisième tisonnier était prêt, et le premier avait été remis au feu pour éviter une interruption de la torture. Thomas fut tourné sur son ventre martyrisé et l’appareil bizarre qu’il n’avait pas su reconnaître lorsqu’on l’avait posé sur la table fut placé sur une jointure de sa main gauche. Il comprit que c’était un étau de fer.

Taillebourg serra la vis. Sous l’effet de la douleur, Thomas se cabra en hurlant. Il perdit connaissance, mais frère Cailloux le fit revenir à lui avec la serviette et de l’eau froide.

— Qui est Hakalya ? demanda l’inquisiteur.

« Quelle question stupide ! se dit Thomas. Comme si la réponse avait une importance ! »

— Je ne sais pas ! répondit-il dans un gémissement, en priant le ciel pour que son tourmenteur le croie.

Mais la douleur recommença et les meilleurs moments, en dehors de l’oubli pur et simple, furent ceux où il retrouvait et perdait alternativement conscience en se croyant la proie d’un rêve – un mauvais rêve, mais un rêve tout de même. Les pires étaient ceux où il s’apercevait que ce n’était pas un rêve et que son univers se réduisait à la douleur à l’état brut. Taillebourg superposait les différentes variantes de douleur soit en serrant une vis pour briser un doigt, soit en plaçant un fer rouge sur sa chair.

— Parle, Thomas, le conjurait l’inquisiteur d’une voix douce, il te suffit de parler pour faire cesser ton tourment. Je t’en prie, Thomas. Crois-tu que cela me plaise de faire souffrir ? Au nom de Dieu, je déteste cela, alors parle, je t’en prie, parle-moi.

Aussi Thomas parla-t-il. Hakalya était le père du tirshatha, et le tirshatha était le père de Néhémie.

— Et Néhémie, demanda Taillebourg, qui était-ce ?

— L’échanson du roi, répondit le malheureux Thomas en sanglotant.

— Pourquoi les hommes mentent-ils à Dieu ? s’interrogea le dominicain.

Il avait reposé l’étau sur la table et les trois tisonniers étaient de nouveau au feu.

— Pourquoi ? répéta-t-il. La vérité finit toujours par être découverte. Dieu y pourvoit. Donc, Thomas, après tout, tu en savais plus que tu ne le prétendais et nous allons découvrir tes autres fables. Mais parle-nous d’abord de Hakalya. Crois-tu que cette citation du livre d’Esdras soit la manière choisie par ton père pour faire savoir qu’il possédait le Graal ?

— Oui, répondit Thomas, oui, oui, oui.

Il gisait recroquevillé contre le mur en tenant ses mains brisées et menottées derrière son dos. La moindre fibre de son corps criait sa souffrance. Mais peut-être celle-ci cesserait-elle s’il avouait tout.

— Mais frère Germain me dit que le passage sur Hakalya dans le livre de ton père est écrit en hébreu. Connais-tu l’hébreu, Thomas ?

— Non.

— Qui donc t’a traduit ce passage ?

— Frère Germain.

— Et c’est frère Germain qui t’a appris qui était Hakalya ? demanda l’inquisiteur.

— Non, répondit Thomas dans une plainte.

Il était inutile de mentir, car le dominicain ne manquerait pas de vérifier auprès du vieux moine. Or, cette réponse débouchait sur d’autres questions qui, à leur tour, révéleraient d’autres mensonges. Thomas ne l’ignorait pas, mais il était trop tard à présent pour résister.

— Qui te l’a dit ?

— Un docteur.

— Un docteur, répéta Taillebourg. Cela ne m’aide point, Thomas. Tu veux en repasser par le feu ? Quel docteur ? Un docteur en théologie ? Un médecin ? Et lorsque tu as demandé à ce mystérieux docteur de t’expliquer la signification du passage, n’a-t-il pas cherché à savoir pourquoi tu voulais la connaître ?

Thomas avoua donc qu’il s’agissait de Mordecaï, et reconnut que ce dernier avait regardé le livre, déclenchant pour la première fois la colère de l’inquisiteur, qui frappa du poing sur la table.

— Tu as montré ce livre à un juif ? siffla-t-il d’une voix incrédule. À un juif ? Au nom de Dieu et de tous les saints du ciel, à quoi as-tu pensé ? À un juif ! À un homme de la race qui a tué notre Sauveur ! Si par malheur les juifs trouvent le Graal, pauvre idiot, ils feront apparaître l’Antéchrist ! Tu vas payer cette trahison par la souffrance ! Tu dois souffrir !

Traversant la pièce, il attrapa un tisonnier et s’approcha de sa victime blottie contre le mur.

— À un juif ! cria-t-il, hors de lui, en incisant la jambe de Thomas qui se mit à hurler. Misérable scélérat ! Tu n’es qu’un traître ! Tu as trahi Dieu, tu as trahi le Christ, tu as trahi l’Église ! Tu ne vaux pas mieux que Judas Iscariote !

Et la torture continua. Les heures défilèrent. Puisque Thomas avait menti avant d’être torturé, ses réponses précédentes furent passées au crible une par une, pendant les moments où il gardait conscience.

— Eh bien, où est le Graal ?

— Je ne sais pas. Je ne sais pas !

Thomas regardait le fer incandescent et hurlait avant même qu’il ne le touche. Mais ses hurlements n’empêchaient pas la torture de continuer à l’infini.

Et il parla. Il dit tout ce qu’il savait, et il fut même tenté, comme Guy Vexille l’avait prédit, de demander à Taillebourg de le laisser faire allégeance à son cousin. Mais alors le souvenir d’Eléonore vint s’interposer au milieu de l’horreur de la torture, et il garda le silence.

Le quatrième jour, alors qu’il tremblait de terreur, alors qu’une simple pichenette de son tortionnaire le faisait pleurer et crier grâce, le seigneur de Roncelet entra dans la pièce.

C’était un homme de haute taille aux cheveux noirs et raides coupés court, au nez cassé et à la bouche dépossédée de deux incisives. Il portait sa propre livrée aux couleurs de la guêpe, les deux chevrons noirs sur fond jaune. Il ricana à la vue du corps martyrisé de Thomas.

— Vous n’avez pas monté le chevalet, mon père, dit-il d’un ton de reproche.

— Ce n’était pas nécessaire, répondit Taillebourg.

Le seigneur de Roncelet poussa le prisonnier du bout de son pied cuirassé.

— Vous dites que cette canaille est un archer anglais ?

— En effet.

— Eh bien, coupez-lui les doigts pour l’empêcher de se servir de son arc ! exigea Roncelet.

— Je ne puis verser le sang, objecta l’inquisiteur.

— Par Dieu, je le puis, moi ! s’exclama Roncelet en sortant un couteau de sa poche.

— C’est moi qui suis chargé de lui ! jeta le dominicain. Il est entre les mains de Dieu, vous n’allez pas le toucher ! Vous n’allez pas verser son sang !

— Vous êtes en mon château, prêtre ! répliqua Roncelet, menaçant.

— Et votre âme est entre mes mains ! rétorqua Taillebourg.

— C’est un archer ! Un archer anglais ! Il est venu ici pour enlever le fils Chénier ! C’est mon affaire !

— Ses doigts ont été écrasés par l’étau, donc ce n’est plus un archer !

Roncelet ne trouva pas de réponse à cet argument. Il donna un nouveau coup de pied furieux au prisonnier.

— Ce n’est qu’une merde, prêtre, voilà tout ! Une merde puante.

Il accompagna ce commentaire d’un crachat. Il ne détestait nullement Thomas en particulier, mais il détestait tous les archers qui avaient ravi au chevalier la place qui lui revenait de droit, celle du roi du champ de bataille.

— Qu’allez-vous faire de lui ? s’enquit-il.

— Prier pour son âme, répondit Taillebourg d’un ton bref.

C’est ce qu’il fit lorsque le seigneur de Roncelet eut tourné les talons. Il était évident qu’il avait terminé son interrogatoire, car il sortit une petite fiole d’huile consacrée et administra à Thomas les derniers sacrements. Il oignit ses sourcils et sa poitrine brûlée, puis récita la prière des mourants.

 Sana me, Domine, psalmodia-t-il, les doigts posés doucement sur les sourcils de sa victime, quoniam conturbata sunt ossa mea. Guéris-moi, Seigneur, car mes os sont tordus de douleur.

Et lorsqu’il eut terminé, Thomas fut emporté dans un cachot creusé dans le rocher sur lequel était construit le Guêpier. Le sol noir, taillé dans la pierre brute, était aussi humide que froid. On l’enferma dans la cellule et on détacha ses menottes.

Thomas crut devenir fou : il souffrait le martyre, ses doigts étaient brisés, et il n’était plus un archer, car comment tendre une corde avec les mains brisées ?

Puis la fièvre vint et il pleura, et il grelotta, et il transpira, et la nuit, dans son demi-sommeil parcouru de cauchemars, il balbutia des mots incompréhensibles. Il pleura de nouveau en se réveillant, car il n’avait pas résisté à la torture, il avait tout raconté à Taillebourg. Il n’était plus qu’un déchet perdu dans le noir, un mourant.

Il ne savait pas depuis combien de temps il croupissait dans les cachots du Guêpier lorsque les deux valets du dominicain vinrent le chercher. Ils lui passèrent une rugueuse chemise de laine, recouvrirent ses jambes souillées avec des braies de laine malpropre, puis le portèrent jusqu’à la cour du château pour le jeter à l’arrière d’une charrette à fumier vide. Les portes de la tour s’ouvrirent en grinçant et, sous la garde d’une vingtaine d’hommes d’armes aux couleurs du seigneur de Roncelet, Thomas quitta le Guêpier, ébloui par la pâle clarté du soleil.

Indifférent à ce qui se passait, il gisait sur les planches sales de la charrette, perclus de douleur, respirant l’odeur pestilentielle du chargement habituel de la carriole, en proie à un seul désir, celui de mourir. La fièvre ne l’avait pas quitté et il tremblait de faiblesse.

— Où m’emmenez-vous ? demanda-t-il d’une voix étouffée, mais il n’obtint pas de réponse.

Peut-être n’avait-on pas entendu les paroles qu’il avait murmurées.

Il pleuvait. La carriole cahotait en direction du nord. Les villageois qu’ils croisaient se signaient. Thomas était plongé dans une stupeur dont il sortait par intermittence. Il se souvint qu’il était en train de mourir. Sans doute l’emmenait-on au cimetière. Il voulut crier au conducteur qu’il était toujours vivant, mais ce fut frère Germain qui lui répondit d’un ton vindicatif qu’il eût été mieux inspiré de lui laisser le livre, à Caen. « C’est de votre faute », lui dit le vieux moine. Thomas décida qu’il rêvait.

La carriole s’arrêta. Il entendit ensuite un son de trompette et une toile claquer au vent. En levant les yeux, il vit que l’un des cavaliers agitait une bannière blanche. Thomas se demanda si c’était son linceul. C’était la coutume. On enveloppait un nouveau-né quand il venait au monde et on enveloppait un défunt quand il s’était éteint. Cette pensée lui arracha un sanglot, car il ne voulait pas être enterré. Puis il entendit des voix anglaises et il sut qu’il rêvait. De fortes mains le soulevèrent, l’éloignant des restes de fumier. Il voulut crier, mais il était trop faible, et il se sentit défaillir. Il sombra dans l’inconscience.

Lorsqu’il revint à lui, il faisait nuit et il était dans une autre carriole, propre cette fois. Il était emmitouflé dans des couvertures et reposait sur un matelas de paille. La carriole était munie d’un toit qui protégeait de la pluie et du soleil.

— Vous allez m’enterrer ? demanda Thomas.

— Tu dis des sottises, répondit quelqu’un. C’était la voix de Robbie.

— Robbie ?

— Oui-da, c’est moi.

— Robbie ?

— Mon pauvre diable, mon pauvre, pauvre diable, dit Robbie en lui caressant le front.

— Où suis-je ?

— Tu rentres à la maison, dit Robbie. À La Roche-Derrien.

 

Il avait été racheté contre rançon. Une semaine après sa disparition, et deux jours après le retour de l’expédition à La Roche-Derrien, un messager était venu trouver la garnison, sous une bannière de trêve. Il était porteur d’une missive de Bernard Taillebourg adressée à sir William Skeat. « Remettez-nous le livre du père Ralph, disait la missive, et Thomas de Hookton sera rendu à ses amis. »

Will Skeat s’était fait traduire le message, mais il ignorait tout de l’existence d’un tel livre. Aussi se tourna-t-il vers messire Guillaume qui, de son côté, s’enquit auprès de Robbie, lequel transmit le message à Jeannette. Le lendemain, une réponse partait à Roncelet.

Puis il y eut un retard d’une quinzaine de jours, car frère Germain fut transféré de Caen à Rennes. Cette précaution avait été exigée par Taillebourg. En effet, le vieux moine ayant vu le livre, pourrait confirmer que ce que l’on échangeait contre le prisonnier était bien le livre de son père.

— C’est ainsi que cela s’est fait, dit Robbie.

Thomas regardait le plafond. Il sentait vaguement que cet échange était une erreur, même s’il était heureux d’être vivant, chez lui et parmi ses amis.

— Pour le bon livre, c’était le bon livre, poursuivit l’Écossais avec un large sourire, mais avec quelques petites choses de notre cru. Pour sûr, nous avons tout recopié. Seulement, nous avons rajouté des âneries pour les tromper. Pour les embrouiller, tu comprends ? Et ce vieux moine racorni n’a rien remarqué. Il s’est jeté sur le livre comme un chien affamé se jette sur un os.

Thomas frémit. Il avait le sentiment qu’on lui avait ôté sa fierté, sa force et même sa virilité. Il avait été humilié au-delà de tout, réduit à une chose tremblante, gémissante, agitée de soubresauts convulsifs. Il pleura silencieusement, laissant les larmes rouler sur ses joues. Ses mains, son corps tout entier étaient douloureux. Il ignorait où il se trouvait ; il savait simplement qu’il avait été ramené à La Roche-Derrien et transporté au sommet d’un escalier très raide, jusqu’à cette petite chambre mansardée aux murs grossièrement plâtrés, où un crucifix était suspendu à la tête du lit. Une fenêtre grillagée et opaque laissait filtrer une lumière sale et brune.

Robbie poursuivit son récit. C’était lui qui avait eu l’idée de falsifier le livre du père Ralph, et c’était Jeannette qui l’avait recopié. Robbie avait donné libre cours à son imagination.

— J’ai écrit des phrases en écossais, fanfaronna-t-il, j’ai mis que le Graal était en Écosse. Tu vas voir comment ils vont fouiller les bruyères, ces bâtards !

Il riait, mais cela ne l’empêchait pas de noter que son ami n’écoutait pas. Il continua à l’entretenir, jusqu’à l’entrée d’une autre personne qui vint essuyer les larmes sur les joues de Thomas. C’était Jeannette.

— Thomas ? Thomas ? prononça-t-elle d’une voix douce.

Il essaya de lui dire qu’il avait vu son fils et qu’il lui avait parlé, mais il ne trouva pas les mots. Guy Vexille lui avait prédit qu’il souhaiterait la mort sous la torture, et il avait dit vrai. Thomas constata avec surprise que c’était toujours vrai ; qu’en lui ôtant sa fierté, on l’avait laissé sans rien. Son pire souvenir n’était pas la douleur, ni l’humiliation de ses supplications, mais la gratitude qu’il avait éprouvée envers Taillebourg lorsqu’il avait arrêté de le tourmenter. Là était la chose honteuse entre toutes.

— Thomas ? répéta Jeannette.

Elle s’agenouilla près du lit et lui caressa la joue.

— Tout va bien, dit-elle d’une voix apaisante. Tu es chez moi. Personne ne va te faire du mal ici.

— Il se peut que…

Cette nouvelle voix fit trembler Thomas de peur. Puis il tourna la tête et vit Mordecaï. Mordecaï ? Il croyait le vieux médecin au chaud, dans le sud !

— Il se peut que je doive réparer les os de vos doigts et de vos orteils, dit le docteur, et cela va vous faire souffrir.

Il posa son sac sur le sol et expliqua sa présence.

— Bien le bonjour, Thomas. Vraiment, je déteste les bateaux. Nous avons attendu la nouvelle voile, et quand ils eurent fini de la coudre, ils décidèrent qu’il n’y avait pas assez de calfatage entre les planches, et quand cela fut fait à leur satisfaction, ils décidèrent que le gréement devait être réparé, et c’est ainsi que ce vieux rafiot n’a toujours pas bougé. Ah, ces marins ! Tout ce qu’ils savent faire, c’est dire qu’ils vont prendre la mer au lieu de la prendre réellement. Mais je ne devrais pas me plaindre, cela m’a donné le temps de réfléchir à des choses et d’autres pour le livre de votre père, et j’y ai pris grand plaisir ! Et maintenant, j’apprends que vous avez besoin de moi. Mon cher Thomas, que vous ont-ils fait ?

— Ils m’ont blessé, répondit Thomas, et ce furent ses premiers mots depuis qu’il avait franchi le seuil de la maison de Jeannette.

— Eh bien, il nous faut donc vous guérir, déclara Mordecaï avec le plus grand calme.

Il souleva la couverture qui cachait le corps meurtri du malade. Jeannette eut un mouvement de recul, mais le vieux médecin se contenta de sourire.

— J’ai vu bien pire après le passage des dominicains, bien pire, émit-il.

Ainsi Thomas fut-il de nouveau soigné par Mordecaï. Le temps se déroula au rythme des nuages qui passaient derrière la fenêtre opacifiée, du soleil qui grimpait toujours plus haut dans le ciel et du pépiement des oiseaux qui venaient prendre des brins de chaume pour construire leurs nids. Il y eux deux jours de douleurs épouvantables lorsque Mordecaï apporta un appareil pour recasser et éclisser les doigts et les orteils du blessé, mais la douleur cessa au bout d’une semaine, ses brûlures guérirent et la fièvre passa.

Jour après jour, Mordecaï examinait ses urines et déclarait qu’elles devenaient plus claires.

— Vous avez la force d’un bœuf, jeune Thomas !

— Oui, et sa stupidité !

— Vous êtes juste un peu bravache, l’apaisa le vieux juif, vous êtes jeune et bravache.

— Quand ils… commença le jeune archer, puis il battit des cils au souvenir de ce que lui avait infligé Taillebourg. Quand ils m’ont… parlé, je leur ai dit que vous aviez vu le livre.

— Cela n’a pas dû leur plaire, commenta Mordecaï.

Il avait sorti une cordelette de la poche de sa robe et était en train de nouer l’extrémité autour d’un morceau de bois qui émergeait d’une poutre non ébarbée.

— L’idée qu’un juif s’intéresse au Graal n’a pas dû leur plaire. Ils ont sans doute cru que je voulais l’utiliser comme pot de chambre ?

Thomas ne put s’empêcher de sourire en dépit de l’impiété de ces paroles.

— Je regrette, Mordecaï.

— De leur avoir parlé de moi ? Aviez-vous le choix ? Les gens parlent toujours sous la torture, Thomas, c’est pourquoi la torture est si utile. Et c’est bien pourquoi la torture sera toujours utilisée aussi longtemps que le soleil continuera à tourner autour de la terre. Et vous me croyez plus en danger maintenant ? Je suis juif, Thomas, juif. Bien, que vais-je faire de cela ?

Il parlait de la cordelette, qu’il souhaitait à l’évidence attacher au plancher. Mais il ne voyait aucun point d’ancrage possible.

— Qu’est-ce ?

— C’est un remède, répondit le médecin en regardant alternativement la cordelette et le sol d’un air perdu. J’ai toujours été maladroit en la matière. Un marteau et un clou, qu’en pensez-vous ?

— Un clou en U, conseilla Thomas.

Le valet faible d’esprit de Jeannette fut expédié, muni d’instructions précises, à la recherche d’un tel clou. Il parvint à en dénicher un, que Mordecaï demanda à Thomas de planter dans le sol. Mais ce dernier, tendant sa main recroquevillée aux doigts recourbés comme des serres, s’en déclara incapable. Le médecin en fut donc réduit à enfoncer lui-même le clou à coups de marteau maladroits. Puis il tendit la corde et l’attacha de sorte qu’elle s’étende du sol au plafond.

— Voici ce que vous allez faire, dit-il en admirant son œuvre. Vous allez tirer dessus comme sur une corde d’arc.

— Je ne peux pas ! s’écria Thomas, saisi de frayeur, en tendant encore ses mains recroquevillées.

— Qu’êtes-vous donc ? demanda Mordecaï.

— Ce que je suis ?

— Ne répondez point à côté. Je sais que vous êtes un Anglais et je présume que vous êtes un chrétien, mais hormis cela, qu’êtes-vous ?

— J’étais un archer, répondit Thomas avec amertume.

— Et vous en êtes toujours un, répliqua le vieux médecin d’un ton sec, et si vous n’êtes point un archer, vous n’êtes rien. Alors vous allez tirer sur cette corde ! Et vous allez tirer jusqu’à ce que vos doigts puissent se refermer dessus. Exercez-vous. Exercez-vous. Qu’avez-vous d’autre à faire de votre temps ?

Thomas s’exécuta, et au bout d’une semaine, il put tendre deux doigts en face du pouce et faire résonner la corde comme une corde de harpe. Au bout d’une nouvelle semaine, il put plier les doigts des deux mains autour de la corde et la tendre avec une telle vigueur qu’elle se rompit. La force lui revenait et les brûlures avaient guéri, laissant des cicatrices là où le tisonnier avait entaillé sa peau. Mais les plaies de sa mémoire ne guérissaient pas. Il évitait de parler de ce qui lui avait été infligé. Il ne voulait pas s’en souvenir. Cela ne l’empêchait pas de s’exercer avec acharnement, s’évertuant à tirer sur la corde jusqu’à la rompre. Ensuite, il apprit à tenir un bâton et s’entraîna au combat avec Robbie dans le jardin. Et lorsque les jours rallongèrent, à la fin de l’hiver, il entreprit des promenades au-delà des murs de la ville. Un moulin à vent était perché sur une colline, non loin de la porte est. Les premiers jours, il peina pour grimper la pente avec ses orteils brisés par l’étau et ses pieds raides, transformés en masses informes. Mais lorsque le mois d’avril eut fini de remplir les prairies de coucous, il marchait d’un pas assuré.

Will Skeat l’accompagnait souvent. Même si son vieux maître était avare de paroles, il était d’agréable compagnie. Lorsqu’il parlait, c’était pour maugréer après le temps ou se plaindre des étranges habitudes françaises en matière de nourriture, ou, plus souvent, parce qu’il n’avait pas de nouvelles du comte de Northampton.

— Crois-tu que nous devrions envoyer un nouveau message à Sa Seigneurie, Tom ?

— Peut-être la première lettre ne lui est-elle pas parvenue ?

— Je n’ai jamais aimé les choses écrites, fit remarquer Skeat, elles ne sont point naturelles. Pourrais-tu lui écrire ?

— Je peux essayer.

Thomas, bien qu’il fut capable de tendre une corde d’arc et de tenir un bâton, ou même une épée, ne parvenait pas à tenir la plume.

Il essaya, mais ses lettres étaient maladroites et incontrôlées. Au bout du compte, un scribe de Totesham écrivit la lettre, bien que Totesham lui-même ne crût pas à l’utilité d’un tel message.

— Charles de Blois sera ici avant que nous ayons reçu le moindre renfort, prédit-il.

Totesham n’était pas à son aise avec le jeune archer, car celui-ci lui avait désobéi en se rendant à Roncelet. Mais son châtiment avait été bien pire que ce qu’eût souhaité le chef de la garnison, qui lui accordait donc toute sa compassion.

— Veux-tu porter la lettre au comte ? demanda-t-il à Thomas.

Ce dernier comprit qu’on lui offrait une échappatoire, mais il secoua la tête.

— Non, je reste ici, répondit-il.

La lettre fut confiée à un capitaine de bateau qui prenait la mer le lendemain.

C’était un geste inutile, et Totesham le savait, car sa garnison était condamnée de façon quasi certaine. Pas un jour ne passait sans que Charles de Blois ne reçoive de nouveaux renforts, et les incursions de l’ennemi poussaient désormais jusque sous les murs de La Roche-Derrien. Les gens de Charles harcelaient les soldats anglais qui battaient la campagne à la recherche de bétail, de chèvres et de moutons à ramener en ville pour les abattre et les mettre au saloir.

Messire Guillaume prenait grand plaisir à ces sorties. Depuis qu’il avait perdu Evecque, il était devenu fataliste et si sauvage que l’ennemi avait déjà appris à se méfier du jupon bleu aux trois faucons jaunes. Mais un soir, rentrant d’une longue journée qui ne lui avait rapporté que deux chèvres, il vint trouver Thomas, le visage fendu d’un large sourire.

— Mon ennemi, le comte de Coutances, que Dieu damne son âme pourrie, s’est joint à Charles, annonça-t-il. J’ai tué l’un de ses hommes ce matin et je regrette que ce n’ait point été ce maudit comte de Coutances en personne.

— Que fait-il ici ? s’étonna Thomas. Il n’est pas breton.

— Philippe de France envoie des gens à son neveu, expliqua messire Guillaume. Pourquoi diable le roi d’Angleterre n’envoie-t-il pas de renforts à lui opposer ? Estime-t-il que Calais est plus importante ?

— Oui.

— Calais, prononça messire Guillaume d’un ton dégoûté, c’est le trou du cul de la France.

Il prit soin de se débarrasser du morceau de viande qui s’était coincé entre ses dents avant de poursuivre :

— Et tes amies sont sorties aujourd’hui.

— Mes amies ?

— Oui, les guêpes.

— Roncelet.

— Nous nous sommes battus contre une demi-douzaine de ces bâtards dans un village perdu, expliqua messire Guillaume. Je me suis fait un plaisir de planter une lance dans un ventre noir et jaune. Il toussait, après.

— Il toussait ?

— C’est à cause de ce temps humide, tu comprends, Thomas. Ça fait tousser. Alors je l’ai laissé où il était pour aller tuer un autre coquin, et ensuite, je suis revenu calmer sa toux. Je lui ai tranché la tête.

Robbie accompagnait messire Guillaume et, comme lui, faisait la collecte des pièces sur les morts ennemis. Mais s’il participait à ces expéditions, c’était dans l’espoir de rencontrer Guy Vexille. Il savait que c’était lui qui avait tué son frère avant la bataille de Durham. À l’église Saint-Renan, il avait posé sa main sur la croix de l’autel et juré de venger son frère.

— Je tuerai Guy Vexille et Taillebourg, j’en fais le serment.

— Non, ils sont à moi, avait protesté Thomas.

— Pas si je tombe dessus le premier.

Robbie s’était trouvé une Bretonne aux yeux bleus, prénommée Oana, qui ne le quittait pas d’une semelle et, par conséquent, l’accompagnait lorsqu’il se promenait avec Thomas.

Un jour qu’ils partaient pour le moulin, elle apparut tenant à la main le grand arc noir de l’archer.

— C’est impossible, je ne pourrai pas m’en servir ! s’exclama Thomas, affolé.

— Alors à quoi sers-tu, par tous les diables ? répondit Robbie.

Il convainquit son ami de s’entraîner à tendre la corde et lui prodigua force encouragements pendant que celui-ci s’adonnait à l’exercice. Désormais, ils se rendirent chaque jour au moulin à vent, pour permettre à Thomas de décocher ses flèches dans la tour de bois. Ses débuts furent difficiles. Il ne réussissait à tendre la corde qu’à moitié, et plus il utilisait de force, plus ses doigts le trahissaient, et plus la cible semblait capricieuse. Mais avec le retour des hirondelles et des martinets qui réapparurent par magie au-dessus des toits de la ville, il retrouva sa dextérité d’antan : il avait progressé au point d’être capable de tendre la corde jusqu’à son oreille et de darder une flèche à travers le bracelet de bois qu’Oana avait posé à cent pas.

— Vous êtes guéri ! lui annonça Mordecaï en apprenant la nouvelle.

— Grâces vous soient rendues ! répondit Thomas, bien que sachant que ce n’était pas uniquement au vieux médecin, mais aussi à l’amitié de Will Skeat, de messire Guillaume et de Robbie Douglas qu’il devait sa guérison.

Jeannette y avait contribué elle aussi. Car Bernard Taillebourg avait blessé Thomas, et ces blessures sans effusion de sang infligées au nom de Dieu qui n’avaient pas seulement martyrisé son corps, mais aussi son âme, Jeannette s’employa à les guérir. Et par une nuit noire de printemps, à la lueur vacillante des flammes de l’éclairage, elle avait grimpé dans la chambre mansardée. Elle était restée avec Thomas jusqu’à l’heure où les coqs se mettaient à chanter pour saluer le jour nouveau. Si Mordecaï comprit pourquoi Thomas était souriant le lendemain, il n’en dit rien, mais il nota qu’à partir de ce moment, la guérison de Thomas progressa à grands pas.

Thomas et Jeannette prirent l’habitude de se voir chaque nuit. Il lui parla de Charles et lui décrivit son regard lorsqu’il avait entendu mentionner le nom de sa mère. Jeannette voulut tout savoir sur ce regard, et elle s’inquiéta, car peut-être signifiait-il que son fils l’avait oubliée. Mais elle finit par croire Thomas lorsqu’il lui dit que l’enfant avait été au bord des larmes en entendant son nom.

— Tu lui as dit que je l’aimais ? insista-t-elle.

— Oui, répondit Thomas.

Jeannette resta couchée en silence, les yeux mouillés. Le jeune archer essaya de la rassurer, mais elle secoua la tête comme si rien de ce qu’il pourrait dire n’était susceptible de la consoler.

— Pardonne-moi, murmura-t-il.

— Tu as essayé.

Ils se demandèrent comment l’ennemi avait appris son arrivée. Jeannette, de son côté, était convaincue que Belas, le notaire, n’était pas étranger à la chose.

— Je sais qu’il écrit à Charles de Blois, dit-elle, et cet homme horrible, comment l’appelles-tu ? Épouvantail ?

— Oui, confirma Thomas.

— Oui, c’est lui. Il est allé voir Belas.

— L’Épouvantail connaît Belas ?

— Oui, il habite chez lui, maintenant. Il vit dans l’entrepôt avec ses hommes. (Elle se tut un instant.) Pourquoi donc reste-t-il en ville ? s’interrogea-t-elle.

Les autres mercenaires avaient préféré s’échapper pour trouver à s’employer quelque part où il existait un espoir de victoire, plutôt que de rester et de subir la défaite que n’allait pas manquer de leur infliger Charles de Blois.

— Il ne peut rentrer chez lui, car il a trop de dettes, expliqua Thomas. Il sera protégé de ses créanciers tant qu’il restera ici.

— Mais pourquoi à La Roche-Derrien ?

— Parce que j’y suis. Il croit que je peux le mener jusqu’au trésor.

— Le Graal ?

— Il ne sait pas qu’il s’agit du Graal.

Mais Thomas se trompait, car le lendemain, alors qu’il était seul au moulin et s’entraînait à tirer dans une baguette qu’il avait plantée à cent cinquante pas, l’Épouvantail et ses six hommes d’armes firent irruption près de lui.

Sortis par la porte est de la ville, ils s’étaient engagés sur la route de Pontrieux, puis l’avaient quittée pour franchir la haie par un trou et gravir la pente qui menait au moulin. Ils étaient tous en cotte de mailles et portaient l’épée, sauf le géant Beggar qui, juché sur son cheval qu’il écrasait sous son poids, était muni de sa masse d’armes à tête cloutée.

Sir Geoffrey brida son cheval à côté de Thomas. Sans lui prêter attention, le jeune homme décocha une flèche qui ne fit qu’effleurer sa cible. L’Épouvantail déroula sa cravache.

— Regarde-moi ! ordonna-t-il.

Sans mot dire, Thomas sortit une flèche de sa ceinture, la plaça sur la corde, puis évita d’un mouvement de tête la lanière de cuir qui venait onduler vers lui. La pointe de métal toucha ses cheveux, mais sans dommage.

— Je t’ai dit de me regarder ! glapit sir Geoffrey.

— Tu veux une flèche dans la tête ? proposa Thomas.

L’Épouvantail se pencha du haut de sa selle. Sa face rouge était déformée par un spasme de colère.

— Tu n’es qu’un archer, proféra-t-il en pointant la poignée de sa cravache vers lui, et moi, je suis un chevalier. Si je te taille en pièces, aucun juge sur terre ne me condamnera.

— Et si je te tire une flèche dans l’œil, riposta Thomas, le diable me remerciera de lui avoir envoyé un compagnon.

Beggar gronda et éperonna son cheval, mais sir Geoffrey lui fit signe de reculer.

— Je sais ce que tu veux, dit-il.

Thomas arma son arc, corrigea instinctivement la trajectoire car le vent léger faisait onduler l’herbe de la prairie, et tira. La flèche fit trembler la baguette.

— Tu n’as pas la moindre idée de ce que je veux, répliqua-t-il à sir Geoffrey.

— Je pensais que c’était de l’or, répondit ce dernier, et ensuite, j’ai cru que c’était de la terre, mais je ne comprenais pas comment l’or et la terre avaient pu t’amener à Durham.

Il s’arrêta, car l’archer envoyait une nouvelle flèche qui passa en sifflant à une largeur de main de la baguette.

— Mais maintenant, je sais, reprit-il, maintenant, enfin, je sais.

— Qu’est-ce que tu sais ? persifla Thomas.

— Je sais que tu es allé à Durham pour voir les religieux parce que tu es à la recherche du plus grand trésor de l’Église. Tu es en quête du Graal.

Thomas détendit la corde, puis leva les yeux sur son interlocuteur.

— Nous sommes tous en quête du Graal, répliqua-t-il, persiflant de plus belle.

— Où est-il ?

Thomas éclata de rire, sans montrer sa surprise devant le fait que l’Épouvantail eût appris le but de sa recherche. Mais sans doute la rumeur avait-elle circulé partout dans la garnison.

— Les meilleurs bourreaux de l’Église me l’ont déjà demandé, dit-il en levant une main déformée, et je ne leur ai rien dit. Crois-tu que je vais te le dire, à toi ?

— Je crois, affirma l’Épouvantail, qu’un homme qui est en quête du Graal ne s’enferme pas à l’intérieur d’une garnison qui n’a devant elle qu’un ou deux mois de survie.

— Alors, peut-être bien que je ne suis pas en quête du Graal, répondit Thomas en tirant une nouvelle flèche sur la baguette.

Mais ce trait était gauchi ; il vibra pendant le vol et s’écarta de la cible.

Au-dessus de lui, les ailes du moulin, aux toiles enroulées et attachées par des cordes, grincèrent sous l’effet d’un souffle de vent soudain.

Sir Geoffrey enroula sa cravache.

— Tu as échoué la dernière fois que tu as tenté une sortie. Que se passera-t-il si tu sors une nouvelle fois ? Que se passera-t-il si tu sors pour courir après le Graal ? Et tu partiras bientôt, avant l’arrivée de Charles de Blois ! Il te faudra donc de l’aide.

Thomas comprit avec incrédulité que l’Épouvantail était venu lui proposer son aide, à moins que ce ne fût pour lui demander la sienne. Le trésor était l’unique raison qui l’avait amené jusqu’à La Roche-Derrien, et il ne s’en était pas rapproché davantage que lors de leur première rencontre à Durham.

— Tu ne peux plus échouer, poursuivait-il, donc, la prochaine fois, il te faudra emmener de vrais guerriers avec toi.

— Tu crois que je vais t’emmener ?

— Je suis anglais, répliqua l’Épouvantail avec véhémence, et si le Graal existe, je veux qu’il soit en Angleterre. Pas dans n’importe quel trou perdu à l’étranger !

Le bruit d’une épée qu’on tirait de son fourreau fit se retourner l’Épouvantail et ses sbires perchés sur leurs selles.

C’étaient Jeannette, avec Robbie flanqué d’Oana. L’Oiseau Noir tenait ostensiblement son arbalète, tandis que Robbie maniait l’épée de son oncle en coupant les têtes des chardons d’un air parfaitement serein.

Sir Geoffrey revint à la charge.

— Tu n’as que faire d’un maudit Écossais ni d’une putain française ! Si tu cherches le Graal, archer, cherche-le avec de bons et loyaux Anglais ! C’est bien ce que te demanderait le roi, pas vrai ?

Thomas dédaigna de répondre. Sir Geoffrey accrocha sa cravache à un crochet attaché à sa ceinture, puis secoua ses rênes.

Les sept cavaliers tournèrent bride et dévalèrent la pente de la colline, non sans avoir frôlé Robbie comme pour l’inciter à les attaquer. Mais Robbie ne tomba pas dans le piège.

— Que voulait-il, ce bâtard ? s’enquit-il.

Thomas décocha une nouvelle flèche, qui effleura la baguette avec l’empenne.

— Je crois, dit-il, qu’il voulait m’aider à trouver le Graal.

— T’aider ! s’exclama Robbie. T’aider à trouver le Graal ? Du diable si c’est pour t’aider ! Il veut le voler, oui ! Cette canaille serait capable de voler le lait des tétons de la Vierge Marie.

— Robbie ! le reprit Jeannette, choquée, avant de pointer son arbalète sur la baguette.

— Prends garde, conseilla Thomas à Robbie. Elle va fermer les yeux quand elle va tirer, comme d’habitude.

— Va-t’en au diable ! s’écria la jeune femme.

Mais, comme elle ne pouvait faire autrement, elle ferma les yeux en tirant sur la détente. Le carreau sortit de son logement avec un bruit sec et fendit les airs, allant comme par miracle amputer le sommet de la baguette d’une longueur de six pouces. Jeannette adressa un regard de triomphe à son amant.

— Je tire mieux que toi les yeux fermés ! fanfaronna-t-elle.

Maintenant que l’Épouvantail et ses sbires avaient disparu, ils ne pensaient plus à la menace qui les avait fait accourir à la rescousse de Thomas, après que Robbie, du haut du mur d’enceinte, eut compris que leur présence était nécessaire.

Les quatre amis s’installèrent au soleil en s’adossant au moulin. Jeannette avait les yeux fixés sur la muraille en contrebas, réparée avec une pierre de couleur plus claire, et portant toujours les traces de la brèche faite par l’attaque anglaise.

— Es-tu vraiment de noble naissance ? demanda-t-elle à Thomas.

— De naissance bâtarde ! ricana son amant.

— Mais le bâtard d’un noble ?

— Oui, il était comte d’Astarac.

Puis il rit, car il lui parut étrange de songer que le père Ralph, le fou qui prêchait aux goélands de la plage de Hookton, était un noble.

— Quelles sont les armoiries d’Astarac ? s’enquit Jeannette.

— C’est une éalé qui tient une coupe, répondit-il.

Il lui montra le petit morceau d’argent incrusté dans le bois de son arc, sur lequel était gravée cette bizarre créature munie de cornes, de sabots fourchus, de défenses et d’une queue de lion.

— Je vais te faire coudre une bannière, annonça la jeune femme.

— Une bannière ? Pourquoi ?

— Un noble doit exposer ses armoiries.

— Et toi, tu dois quitter La Roche-Derrien, rétorqua Thomas.

Il ne cessait de vouloir la convaincre de quitter la ville, mais elle ne voulait rien entendre. À présent, elle doutait de jamais pouvoir récupérer son fils et elle était déterminée à tuer Charles de Blois avec un carreau d’arbalète. Ses traits étaient taillés dans un bois de hêtre bien dense, terminés par une pointe de fer et garnis non de plumes, mais de morceaux de cuir rigide, insérés dans des fentes coupées en croix dans le hêtre, et liés avec du chanvre et de la colle.

Là était la raison qui la poussait à s’entraîner avec assiduité : elle formait le dessein d’abattre l’homme qui l’avait violée et lui avait pris son enfant.

Pâques arriva avant l’attaque ennemie. Il faisait bon à présent. Les haies regorgeaient de nids et les prairies résonnaient du cri des perdrix. Le lendemain de Pâques, alors que l’on finissait les restes du festin qui avait marqué la fin du jeûne de carême, la nouvelle tant redoutée arriva de Rennes.

Charles de Blois s’était mis en marche.

 

Plus de quatre mille hommes quittaient Rennes sous la bannière à l’hermine blanche du duc de Bretagne. Deux mille étaient des arbalétriers, la plupart vêtus de la livrée verte et rouge de Gênes et arborant les armes de la ville, le Saint-Graal, sur le bras droit. C’étaient des mercenaires, engagés et appréciés pour leur adresse. Un millier de fantassins, ceux qui creuseraient les tranchées et partiraient à l’assaut des murs brisés des forteresses anglaises, marchaient avec eux. Et plus d’un millier de chevaliers ou d’hommes d’armes, en majorité français, formaient le cœur puissamment cuirassé de l’armée du duc Charles. Ils avançaient sur La Roche-Derrien, mais le véritable but de la campagne n’était pas de prendre la ville, dont la valeur était négligeable, mais plutôt d’attirer sir Thomas Dagworth et sa petite armée dans une bataille destinée à lâcher les chevaliers et les hommes d’armes montés sur leurs grands destriers caparaçonnés dans les rangs anglais pour les écraser.

Un convoi de lourds chariots transportait neuf machines de siège requérant le savoir-faire de plus d’une centaine d’ingénieurs chargés de les assembler et de les faire fonctionner. Ces appareils géants étaient capables de projeter des boulets gros comme des tonneaux de bière à une distance qui dépassait celle des flèches tirées par les archers. Un constructeur de canons de Florence avait proposé ses étranges machines à Charles, mais celui-ci avait décliné son offre. Car les canons étaient rares, chers et, selon lui, capricieux, tandis que les vieilles machines mécaniques travaillaient bien à condition d’être soigneusement graissées au suif. Il n’y avait donc aucune raison de les abandonner.

Une armée de quatre mille hommes quitta Rennes, mais les champs des alentours de La Roche-Derrien en virent arriver bien davantage. Car les gens de la campagne, gonflés de haine, étaient venus grossir les rangs de l’armée du duc pour se venger du bétail, des récoltes, des propriétés et des virginités que leurs familles avaient perdus au profit des étrangers. Certains ne disposaient pour tout armement que d’une pioche ou d’une hache, mais il était établi que lorsque le temps serait venu de donner l’assaut, ces hommes en colère seraient fort utiles.

À l’arrivée de son armée à La Roche-Derrien, Charles de Blois entendit la dernière porte de la ville se fermer à grand bruit. Il dépêcha un messager afin de demander à la garnison de se rendre, tout en sachant que sa requête était vaine. Et tandis que l’on dressait les tentes, il expédia des cavaliers en patrouille sur les routes menant vers le Finistère, avec pour mission de l’avertir lorsque sir Thomas Dagworth aurait commencé à marcher sur la ville pour assurer la relève. Ses espions avaient rapporté à Charles que le nombre d’hommes levés par Dagworth n’atteignait pas le millier.

— Et parmi eux, combien d’archers ? demanda-t-il.

— Au moins cinq cents, Votre Grâce.

Celui qui répondit appartenait à la nombreuse suite de religieux gravitant dans le sillage du duc. Charles était connu pour sa piété et aimait à s’entourer de conseillers, secrétaires et, comme c’était le cas pour son interlocuteur, de maîtres espions, dûment ordonnés.

— Au moins cinq cents, répéta le tonsuré, mais, en vérité, Votre Grâce, beaucoup moins.

— Beaucoup moins ? Comment cela ?

— Il y a la fièvre dans le Finistère, répondit le prêtre avec un sourire entendu. Dieu est bon pour nous.

— Amen. Et combien d’archers dans la garnison de la ville ?

— Soixante hommes en bonne santé. Votre Grâce, soixante tout juste, affirma le religieux-espion qui était en possession du dernier rapport de Belas.

Charles fit la grimace. Il avait déjà été défait par les archers anglais, alors même qu’il les dépassait tellement en nombre que la défaite avait paru impossible. L’expérience l’avait donc rendu méfiant. Mais il avait également fait travailler sa cervelle et avait longuement réfléchi à la question des arcs de guerre anglais. À son avis, il était possible de venir à bout de ces armes, et il allait le démontrer au cours de cette campagne. L’intelligence, la plus méprisée des qualités du soldat, allait triompher. Et Charles de Blois, désigné par les Français comme duc et souverain de Bretagne, était indéniablement un homme intelligent. Capable de lire et d’écrire en six langues, parlant le latin mieux que bien des religieux, il était également passé maître en rhétorique. Son aspect physique lui-même, son fin visage pâle, ses yeux d’un bleu intense, sa barbe et sa moustache claires, trahissaient l’intelligence. Depuis qu’il avait atteint l’âge adulte, il se battait contre ses rivaux qui convoitaient le duché, mais il avait enfin réuni toutes les chances de l’emporter. Le roi d’Angleterre faisait le siège de Calais en négligeant de renforcer ses garnisons bretonnes, tandis que le roi de France, l’oncle de Charles, s’était montré généreux en hommes, ce qui lui permettait de surpasser ses ennemis en nombre. Dès la fin de l’été, il aurait recouvré tous ses domaines ancestraux.

Aussitôt après s’être abandonné à cette pensée réconfortante, il se reprit : mieux valait ne point se montrer trop confiant.

— Même s’il ne dispose que de cinq cents ou cinq cent soixante archers, dit-il, ceux-ci peuvent être redoutables.

Il parlait d’une voix précise, pédante et sèche. Bien souvent, les religieux de son entourage se faisaient la réflexion qu’il parlait tout à fait comme un prêtre.

— Les Génois vont les noyer sous les arbalètes, Votre Grâce, le rassura l’un de ses conseillers.

— Prions Dieu pour que ce soit le cas, répondit pieusement Charles, tout en songeant in petto que Dieu accepterait certainement le renfort d’un peu d’intelligence humaine.

Le lendemain matin, sous un soleil printanier, Charles alla caracoler sous les murs de La Roche-Derrien, mais en prenant bien soin de rester à bonne distance pour éviter de recevoir une flèche anglaise. Les défenseurs avaient accroché des bannières aux murs de la ville. Certaines arboraient la croix de Saint-Georges, d’autres, le blason à l’hermine blanche du duc de Montfort, tout à fait semblable au sien. Bon nombre d’oriflammes comportaient des inscriptions insultantes à son adresse. Sur l’une d’elles, son hermine blanche était ensanglantée par une flèche anglaise qui traversait son ventre de part en part ; sur une autre, un personnage qui, d’évidence, le représentait, était piétiné par un immense cheval noir. Mais la plupart des bannières étaient de pieuses exhortations demandant l’aide de Dieu, ou exposant la croix, de manière à montrer aux assaillants de quel côté était censée se trouver la sympathie du ciel. En général, les villes assiégées faisaient flotter les bannières de leurs nobles défenseurs, mais La Roche-Derrien comptait peu de nobles, ou, à tout le moins, de nobles déployant leurs armoiries, et certainement aucun qui fut du même rang que les aristocrates se battant aux côtés de Charles. Les trois faucons d’Evecque flottaient sur la muraille, mais chacun savait que messire Guillaume avait été dépossédé de ses biens et qu’il n’avait guère plus de trois ou quatre fidèles. On voyait aussi une oriflamme ornée d’un cœur rouge sur champ pâle. Un religieux de l’entourage de Charles émit l’hypothèse qu’il s’agissait du blason de la famille Douglas, en Écosse, mais c’était évidemment absurde, car jamais un Écossais ne se battrait pour les Anglais. À côté du cœur rouge, une bannière plus éclatante arborait une mer bleue et blanche de vagues ondulantes.

— Serait-ce… commença Charles.

Puis il se tut, fronçant les sourcils.

— Le blason d’Armorique, Votre Grâce, compléta le seigneur de Roncelet.

Le duc Charles était accompagné de ses grands seigneurs, qui chevauchaient autour de la ville bannière au vent, de manière à effrayer les défenseurs à leur vue. C’étaient des seigneurs bretons pour la plupart. Le vicomte de Rohan et le vicomte de Morgat suivaient le duc de près, puis venaient les seigneurs de Châteaubriant et de Roncelet, de Laval, de Guingamp, de Rougé, de Dinan, de Redon et de Malestroit, tous montés sur de fiers destriers. Venus de Normandie, le comte de Coutances et les seigneurs de Valognes et de Carteret s’étaient joints à eux avec leurs gens, prêts à se battre pour le neveu de leur roi.

— Je croyais qu’Armorique était mort, fit remarquer l’un des seigneurs normands.

— Il a un fils, rétorqua Roncelet.

— Et une veuve, ajouta le comte de Guingamp, et c’est elle, la chienne félonne, qui fait flotter la bannière.

— Mais par ma foi, c’est une fort jolie chienne félonne, se réjouit le vicomte de Rohan.

Les seigneurs éclatèrent de rire avec ensemble, car tous savaient ce qu’on faisait des veuves indisciplinées mais jolies.

Mais Charles accueillit leur rire par une grimace.

— Quand nous prendrons la ville, déclara-t-il d’un ton sans réplique, il ne sera fait aucun mal à la comtesse douairière d’Armorique. Je veux qu’on me l’amène.

Il avait déjà violé Jeannette et il la violerait encore, mais une fois qu’il se serait accordé ce plaisir, il la marierait à un de ses hommes d’armes qui se chargerait de lui apprendre à surveiller ses manières et à tenir sa langue.

Il freina son cheval pour scruter les remparts. Sans arrêt, de nouvelles oriflammes, toutes plus insultantes pour lui et pour sa maison, venaient s’ajouter à celles qui y flottaient déjà.

— C’est une garnison fort active, fit-il remarquer d’un ton sec.

— Ce sont des habitants fort actifs, rectifia le vicomte de Rohan avec colère. Ce sont de maudits félons.

— Les habitants de la ville ? s’étonna Charles. Pourquoi les habitants soutiendraient-ils les Anglais ?

— Le commerce, expliqua Roncelet d’un ton bref.

— Le commerce ?

— Oui, ils s’enrichissent, et ils aiment cela, gronda Roncelet.

— Ils aiment cela au point de se battre contre leur seigneur ? questionna Charles, ébahi.

— La canaille est déloyale, cracha Roncelet.

— Cette canaille, nous allons nous employer à l’appauvrir, décréta le duc.

Il éperonna sa monture, mais la brida à la vue de la bannière d’un noble, sur laquelle une éalé brandissait un calice. Pas une des oriflammes qu’il avait vues jusqu’alors ne contenait la promesse d’une bonne rançon pour la capture de son seigneur. Ce blason l’intrigua.

— À qui appartient cette bannière ? s’enquit-il.

Nul ne sut lui répondre. Puis un jeune homme mince, monté sur un haut cheval noir, lui cria depuis les derniers rangs de sa suite :

— C’est le blason d’Astarac, Votre Grâce, et il est entre les mains d’un imposteur.

L’homme qui avait répondu était venu de France à la tête d’une centaine de farouches cavaliers en livrée noire. Il était accompagné d’un dominicain. Charles de Blois, bien que se réjouissant de compter ces hommes en noir dans ses rangs, ressentait pourtant un certain malaise à leur endroit. Ils paraissaient étrangement durs, dangereusement expérimentés.

— Un imposteur ? répéta-t-il en éperonnant son cheval. Eh bien, dans ce cas, inutile de s’occuper de lui.

La ville comptait trois portes donnant sur la campagne, et une quatrième donnant sur la rivière. Charles prévoyait de donner l’assaut à chacune d’elles, afin que la garnison fut prise au piège comme le renard en sa tanière.

— L’armée sera divisée en quatre parties, et chacune de ces parties fera face à une porte, décréta-t-il lorsque les seigneurs eurent regagné la tente ducale, plantée près du moulin à vent perché sur la colline, à l’est de la ville.

Les seigneurs écoutèrent religieusement et un prêtre coucha sa déclaration sur parchemin pour permettre à la postérité d’avoir en mains la vraie preuve du génie stratégique de Sa Grâce.

Il était établi que chacune des quatre divisions de l’armée de Charles dépasserait de beaucoup en nombre les renforts réunis par sir Thomas Dagworth. Mais, afin d’accroître encore leur invincibilité, le duc ordonna la construction de remparts de terre autour des quatre campements, afin d’obliger les Anglais à monter à l’assaut gênés par des fossés, des remblais, des palissades et des haies d’épines. Les obstacles protégeraient ses hommes contre les archers et assureraient une couverture aux arbalétriers génois pendant qu’ils rechargeraient leurs armes. Le terrain séparant les quatre campements devrait être débarrassé des haies et de tout autre obstacle afin de livrer la place à une étendue constituée uniquement d’herbe et de marais.

— L’archer anglais n’est pas homme à se battre face à face, déclara Charles à ses seigneurs. Il tue à distance et il se dissimule derrière les haies, ce qui énerve nos chevaux. Nous allons retourner cette tactique contre lui.

La tente était grande, blanche et aérée, et il régnait à l’intérieur une odeur d’herbe piétinée et de sueur. Derrière les murs de toile, on entendait le bruit sourd des maillets de bois utilisés par les ingénieurs pour assembler les machines de siège.

— Nos hommes, poursuivit le duc, resteront à l’intérieur de leurs défenses. Nous construirons donc quatre forts devant les quatre portes de la ville, afin que si les Anglais envoient des renforts, ceux-ci soient contraints d’attaquer nos forts. Les archers ne peuvent pas tuer des hommes qu’ils ne voient pas.

Il s’arrêta afin de s’assurer que ses paroles pénétraient bien les esprits. Puis il reprit sa harangue.

— Les archers ne peuvent pas tuer des hommes qu’ils ne voient pas, martela-t-il. N’oubliez pas cela ! Nos arbalètes seront installées derrière des remblais de terre, nous serons protégés par un écran de haies et cachés par des palissades, et l’ennemi sera en terrain découvert, ce qui nous permettra de le faucher comme le blé.

Des grognements d’approbation s’élevèrent, car les paroles du duc étaient pleines de bon sens. Les archers ne pourraient pas tuer des hommes invisibles. Le farouche dominicain lui-même, celui qui était venu avec les soldats en noir, parut impressionné.

Les cloches de midi sonnèrent en ville. L’une d’elles, la plus bruyante, était fêlée et sonnait faux.

— La Roche-Derrien est une ville qui ne compte pas, poursuivit le duc. Peu importe qu’elle tombe ou non. Ce qui importe, c’est d’attirer l’ennemi à l’extérieur, afin qu’il nous attaque. Dagworth viendra certainement en renfort pour protéger la ville. Quand il se montrera, nous l’écraserons et une fois qu’il aura été écrasé, il ne restera plus qu’à prendre les garnisons anglaises. Nous les prendrons une par une, et à la fin de l’été, toute la Bretagne sera à nous.

Il parlait lentement en utilisant des mots simples, sachant que son plan de campagne devait être expliqué clairement à ces hommes qui, pour vaillants guerriers qu’ils fussent, n’avaient pas une réputation de penseurs.

— Et quand la Bretagne sera à nous, il y aura une manne de terres, de manoirs et de possessions, promit-il.

Le grondement approbateur alla en s’amplifiant, et les guerriers arborèrent de larges sourires, car, hormis les terres, les manoirs et les châteaux, les attendaient d’autres récompenses. Il y aurait de l’or, de l’argent et des femmes. Des quantités de femmes. Le grondement se mua en éclats de rire lorsque les futurs vainqueurs s’aperçurent qu’ils pensaient tous à la même chose.

Charles rappela son auditoire à l’ordre :

— Mais c’est ici que nous préparons notre victoire, et nous la rendrons possible en privant les archers anglais de leurs cibles. Les archers ne peuvent pas tuer des hommes qu’ils ne voient pas !

Il fit une nouvelle pause pour scruter les visages, et les hommes de guerre opinèrent du chef. Enfin, la vérité toute simple de cette affirmation avait pénétré dans leurs crânes.

— Nous serons tous à l’intérieur de nos forts, chacun à l’intérieur du sien, et quand l’armée anglaise arrivera pour faire lever le siège, elle attaquera l’un de ces quatre forts. Cette armée anglaise sera réduite. Moins d’un millier d’hommes ! Supposons qu’ils commencent à donner l’assaut au fort que je vais construire ici. Que feront ceux qui ne seront pas avec moi ?

Il attendit les réponses. Au bout d’un moment, le seigneur de Roncelet, aussi hésitant qu’un écolier répondant à son maître, fronça les sourcils et proposa :

— Ils viendront au secours de Votre Grâce ?

L’assistance signifia son approbation avec force hochement de têtes et sourires.

— Non ! tempêta Charles. Non ! Non ! Non !

Il se tut, pour s’assurer que tout le monde avait bien compris ce simple mot. Puis il expliqua :

— Si vous quittez votre fort, vous offrez une cible à l’archer anglais ! C’est ce qu’il attend ! Ce qu’il voudra, c’est nous attirer à l’extérieur de nos murs pour nous faucher avec ses flèches. Donc, que faisons-nous ? Nous restons derrière nos murs. Nous restons derrière nos murs !

Comprendraient-ils cela ? C’était la clé de la victoire. Si les hommes restaient dissimulés aux yeux des archers, les Anglais seraient vaincus. L’armée de sir Thomas Dagworth serait contrainte de donner l’assaut à des murs de terre et à des haies épineuses, et les arbalétriers leur cracheraient leurs carreaux dessus ; et lorsque les Anglais seraient tellement affaiblis qu’il n’en resterait plus que deux petites centaines sur pied, le duc lâcherait ses hommes d’armes pour faire un carnage parmi les rescapés.

— Vous ne quittez pas vos forts, martela-t-il. Ceux qui quitteront leur fort seront privés de ma générosité.

Une telle menace avait de quoi calmer les ardeurs de ses guerriers. Afin de lever toute ambiguïté, il précisa :

— Si un seul de vos hommes quitte le refuge des murs, nous ferons en sorte qu’il ne participe pas à la distribution des terres à la fin de la campagne. Est-ce clair ?

C’était clair. C’était simple.

Charles de Blois construirait quatre forts qu’il opposerait aux quatre portes de la ville et les Anglais, lorsqu’ils viendraient, seraient forcés de prendre d’assaut ces murs nouvellement construits. Et ces quatre forts, même le plus petit, contiendrait plus de défenseurs que les Anglais n’auraient d’assaillants, et ces défenseurs seraient protégés, et leurs armes seraient mortelles, et les Anglais seraient massacrés, et la Bretagne passerait à la Maison de Blois.

L’intelligence. C’était avec l’intelligence que se gagnaient les guerres et que se forgeaient les renommées. Et une fois que Charles aurait montré comment on défaisait les Anglais ici, il les déferait dans toute la France.

Car Charles rêvait d’une couronne plus lourde que la petite couronne ducale de Bretagne. Il rêvait de la France. Mais tout commencerait ici, dans les champs inondés qui entouraient La Roche-Derrien. Ce serait en ce lieu que l’archer anglais serait envoyé là où était sa place.

En enfer.

 

Les neuf machines de siège étaient des trébuchets. Les plus volumineux étaient capables de lancer une pierre pesant deux fois le poids d’un homme adulte à près de trois cents pas. Tous avaient été fabriqués à Regensburg, en Bavière, et les maîtres ingénieurs qui les accompagnaient étaient des Bavarois qui en connaissaient tous les secrets. Les deux plus gros étaient dotés de bras de lancement dépassant les cinquante pieds de longueur et ceux des deux plus petits, placés au loin, sur la rive de la Jaudy pour menacer le pont et sa barbacane, atteignaient les trente-six pieds.

Les deux plus gros, joliment baptisés Passage pour l’Enfer et Faiseur de Veuves, étaient placés au pied de la colline au moulin. Leur mécanique était assez simple, se résumant à une longue poutre montée sur un axe, suivant le principe du jeu de bascule, mais qui était trois fois plus longue d’un côté de la bascule que de l’autre. Le côté le plus court était lesté d’une énorme caisse de bois remplie de poids de plomb, tandis que le plus long, celui qui envoyait le projectile, était attaché à un grand treuil qui l’entraînait vers le sol, soulevant par la même occasion les dix tonnes de contrepoids. Le projectile de pierre était placé dans une fronde de cuir d’environ quinze pieds de longueur, attachée au bras le plus long. Lorsque la descente du contrepoids était déclenchée, le bras le plus long s’élevait brutalement, la fronde fouettait l’air, propulsant son boulet qui allait s’écraser sur sa cible en décrivant un arc de cercle. C’était très simple. En revanche, ce qui l’était moins, c’était de garder le mécanisme graissé au suif, de construire un treuil assez puissant pour entraîner la longue poutre jusqu’au sol, de fabriquer une caisse assez résistante pour pouvoir supporter les chocs répétés sur le sol sans se rompre en renversant ses dix tonnes de plomb et, chose encore plus compliquée, de créer un engin apte à maintenir le long bras à terre contre le poids du plomb, tout en étant capable de relâcher la poutre sans la briser. Telles étaient les matières dans lesquelles les Bavarois excellaient, et pour lesquelles ils étaient grassement rémunérés.

Beaucoup prétendaient que le savoir de ces Bavarois était devenu inutile. Une nouvelle arme, le canon, réussissait à lancer ses projectiles avec plus de force tout en étant bien moins encombrante, mais le duc Charles s’était servi de son intelligence pour faire la comparaison et avait opté pour l’ancienne technologie. Les canons étaient enclins à des explosions ayant le fâcheux effet de faire sauter avec eux les artilleurs qui coûtaient si cher. Ils étaient également d’une lenteur désespérante.

En effet, l’espace entre le projectile et le fût du canon devait être scellé pour contenir la puissance de la poudre, et il était donc nécessaire d’enduire le boulet avec de la terre argileuse mouillée. Tout cela prenait du temps pour sécher, et un long moment s’écoulait avant la mise à feu de la poudre. Les artilleurs les plus qualifiés d’Italie ne pouvaient guère tirer que trois ou quatre fois par jour. Et lorsqu’un canon tirait, il crachait un boulet pesant à peine quelques livres. Même s’il était vrai que ce boulet de petite taille volait si vite qu’il en était invisible, il n’en n’était pas moins vrai que les bons vieux trébuchets étaient capables de lancer en une heure trois ou quatre projectiles vingt ou trente fois plus lourds.

Le duc ayant décidé que La Roche Derrien serait bombardée à l’ancienne, la petite ville fut dûment encerclée par les neuf trébuchets. Passage pour l’Enfer et Faiseur de Veuves étaient accompagnés de Lance-Pierres, d’Écrabouilleur, de Creuseur de Tombes, de Fouette-Pierres, de Cracheur, de Destructeur et de Main de Dieu.

Chaque trébuchet était monté sur une armature de bois et protégé par une haute palissade assez solide pour arrêter les flèches. Un certain nombre de paysans qui avaient rejoint l’armée furent entraînés à rester près des palissades et à se préparer à arroser d’eau les éventuelles flèches enflammées susceptibles d’être tirées par les Anglais. Il fallait éviter que les clôtures ne prennent feu en exposant ainsi les ingénieurs. D’autres creusèrent les tranchées et élevèrent les remparts de terre qui formaient les quatre forts. Partout où c’était possible, ils utilisèrent des fossés déjà existants ou incorporèrent les épaisses haies de prunelliers aux défenses. Ils fabriquèrent des barrières de pieux taillés en pointe et creusèrent des trous pour briser les jambes des chevaux. Les quatre divisions de l’armée du duc s’entourèrent des mêmes défenses. Et, jour après jour, tandis que les murs s’élevaient et que les trébuchets prenaient forme grâce aux pièces transportées par chariots, les guerriers du duc s’entraînaient à former leurs lignes de bataille. Les arbalétriers génois se postaient près des murs en construction, et les chevaliers ainsi que les hommes d’armes se rassemblaient derrière eux à pied. Certains maugréaient que ces exercices représentaient une perte de temps, mais d’autres comprenaient la tactique envisagée par le duc et l’approuvaient. Les archers anglais, surpris par les murs, les tranchées et les palissades, seraient fauchés un à un par les arbalètes. Pour finir, l’ennemi devrait attaquer en traversant les murs de terre et les tranchées inondées, puis serait cueilli par les hommes d’armes qui les attendraient de pied ferme.

Au bout d’une semaine de travail acharné, les trébuchets étaient assemblés et leurs énormes caisses à contrepoids remplies de gros morceaux de plomb. Il ne restait plus aux ingénieurs qu’à déployer un talent encore plus subtil en propulsant leurs grosses pierres l’une après l’autre exactement au même endroit du mur, afin que les remparts soient détruits et une brèche ouverte sur la ville. Et une fois l’armée de renfort défaite, les hommes du duc pourraient partir à l’assaut de La Roche-Derrien et passer ses habitants félons au fil de l’épée.

Les ingénieurs bavarois choisirent leurs premières pierres avec soin, puis adaptèrent la longueur de leurs frondes à la portée de leurs machines.

Pendant ce temps, les faucons crécerelles planaient dans le ciel, les boutons d’or déployaient leurs corolles dans les champs, les truites s’amusaient à sauter hors de l’eau pour attraper les éphémères, l’ail sauvage fleurissait de blanc les sous-bois et les pigeons volaient de branche en branche dans les bois verdoyants. C’était la saison la plus agréable de l’année. Enivré par l’air du printemps, le duc Charles, qui savait par ses espions que l’armée anglaise de sir Thomas Dagworth s’était ébranlée à l’ouest de la Bretagne, savoura son triomphe à l’avance.

— Que les Bavarois se mettent à l’œuvre, fit-il transmettre par l’un de ses prêtres-conseillers.

Ce fut le trébuchet baptisé Passage pour l’Enfer qui tira le premier. On actionna un levier, qui fit sortir une épaisse goupille de métal d’une pièce percée d’un trou attachée au long bras de Passage pour l’Enfer. Dix tonnes de plomb allèrent s’écraser sur le sol avec un bruit qui s’entendit jusqu’à Tréguier et le long bras se souleva brutalement. Au bout du bras, la fronde tourbillonna, l’air siffla comme sous l’effet d’une brusque bourrasque, et un boulet s’élança en arc de cercle dans le ciel. Le gros bloc de pierre parut rester accroché quelque temps dans le ciel parcouru de crécerelles, puis, dans un bruit de tonnerre, il retomba.

La tuerie avait commencé.

L'archer du Roi
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